On se trouve dans un train qui ramène les laborieux vers leur banlieue, vers leur chez eux. Les wagons sont bondés, les gens s’entassent, ils courent vers les places les plus proches, sinon ils se retrouveront sur un strapontin ou debout. Alors, on force le passage, on défend sa place, on s’accommode de la promiscuité.
On salue le coude de monsieur, pendant que le sac à main de madame nous masse tranquillement le dos.
Malgré l’afflux de voyageurs, certains se fichent de rester assis dans le compartiment d’entrée.
Au cœur de ce grouillement, un homme est assis. Lui aussi a supporté l’agitation de la foule et l’inconfort du voyage ferroviaire.
Au rythme des gares, des gens montent pendant que d’autres descendent, et lui, il reste seul.
Personne ne remarque cet homme et d’ailleurs personne ne remarque personne.
Il doit avoir peut-être cinquante ou soixante ans, il porte un costume bien coupé. Certainement doit-il rentrer de son travail, ou d’autre chose, peu importe.
Autour de lui, les gens regardent le paysage que dessine le crépuscule, lisent des journaux, des romans, et pour les dames, des recettes miracles pour maigrir avant l’été.
Dans ce tourment d’inanition, cet homme regarde fixement dans le vague. Il ne doit pas voir grand chose, car ses yeux sont embrumés de larmes.
Lorsque ses voisins ont relevé ses pleurs, sa solitude s’est accrue. Chacun de leur côté, ils se sont plongés dans l’ignorance. Certains ont enfoui leur regard dans des pages vides de sens, afin de concurrencer l’oubli, pendant que d’autres se perdent dans leurs pensées transparentes.
Celui-ci a peut-être perdu son emploi, ou un proche ou autre chose. Personne ne sait.
Les plus courageux tentent un sourire, un regard, un geste dans sa direction. Il ne répond rien, lui aussi est absent.
Malgré ses pleurs silencieux, il garde une tendre dignité sans souci de ceux qui l’entourent.
Il est seul au milieu des autres et le contact avec ces inconnus qu’imposent les transports en commun ne l’a pas guéri de sa solitude.
Le train s’arrête à une gare. Le pleureur se lève et sort.
Et la nuit le recouvre à jamais, seul avec ses larmes.